Bonsoir,
Pour le polissage de miroirs de télescopes, la méthode manuelle traditionnelle est assez simple dans le principe :
Dans les grandes lignes, ça donne ça :
- On part d'un disque de verre qui va être le miroir et d'un autre qui va servir d'outil.
- On commence par faire un chanfrein à la pierre à affuter, ce chanfrein évite les éclats sur le bord du miroir.
Vient alors la phase d'ébauche :
- On place l'outil sur le poste de travail, on y met une dose d'abrasif (souvent un grain 80), puis un peu d'eau pour former une boue.
- On place le miroir sur l'outil et on frotte les deux disques l'un sur l'autre en exerçant une forte pression. Le disque situé en dessous voit ses bords s'abraser en premier, celui qui est sur le dessus s'use principalement au centre.
- Au fur et à mesure de l'avancée du travail, l'abrasif s'use, la boue sèche et se charge de de poussière de verre, l'efficacité baisse. C'est la fin de la "séchée". on nettoie tout, on remet de l'abrasif neuf, et on recommence.
- On s'attache à tourner régulièrement autour du miroir et à tourner le miroir par rapport à l'outil afin d'obtenir une forme de révolution.
A force de frotter (comme un bourrin), le miroir se creuse et s'approche de la forme voulue. C'est une sorte de sphère assez déformée. A ce stade, on s'attache à creuser et à atteindre la flèche souhaitée. (flèche = profondeur du "creux" dans le miroir).
Quand la flèche est atteinte, on passe au réunissage : toujours avec le même mélange abrasif-eau, on continue à frotter en appuyant moins fortement et avec une longueur de courses modérées. Cette fois, on travaille soit l'outil sur le miroir, soit le miroir sur l'outil. Sachant que le disque situé au dessus se creuse et celui au dessous voit sa courbure baisser, on peut ainsi maîtriser la courbure et donc la focale du miroir. Durant le réunissage, on frotte jusqu'à ce que les deux disques s'épousent parfaitement quelle que soit leurs positions relatives. La forme obtenue est alors une sphère de la courbure désirée, les disques sont ainsi "réunis".
On passe alors à l'étape du doucissage. Cette étape est identique au réunissage, mais on s'attache ici à réduire progressivement la taille de l'abrasif pour obtenir un dépoli de plus en plus fin. On passe successivement par les grains 120; 180; 220; 280; 320; 400; 600 (en option on peut aller jusqu'à 1000, ou utiliser une autre échelle de mesure des abrasifs : W4 et W6, on peut aussi "sauter" certains grains).
A chaque grain, on s'efforce de faire disparaître toute trace du grain précédent. et on nettoie à chaque changement d'abrasif pour ne pas être pollué par un reste d'abrasif plus grossier que le grain en cours.
A la fin du doucissage, on obtient un sphère très précise (précision autour du micron), de courbure maîtrisée et présentant un dépoli très fin. La réflexion est déjà visible en lumière rasante.
On passe alors aux phases de polissage :
On recouvre l'outil de poix. C'est une résine noire qui a la propriété d'être très dure tout en fluant constamment. Ceci permet à l'outil de prendre exactement la forme du miroir lorsqu'on le presse dessus, tout en ayant assez de dureté pour permettre un appui à l'abrasif et un travail efficace. De plus, au fur et à mesure du travail, l'outil se charge de produit de polissage et devient plus efficace.
On fait de profondes rainures dans l'outil pour permettre la circulation des abrasifs et on presse l'outil sur le miroir pour mettre l'outil en forme.
Les abrasif utilisés en polissage diffèrent de ceux de l'ébauche. ce sont des abrasifs très fins en suspension dans de l'eau (opaline, oxyde de zirconium, SRS, rouge à polir... il en existe une grande variété).
On commence alors par retirer le "gris" : Avec des courses régulières, on frotte les disques l'un contre l'autre pour polir la surface. Le miroir s’éclaircit alors jusqu'à disparition de toute trace de dépoli. Le travail régulier permet de conserver et d'affiner la forme de la sphère.
Lorsque tout le "gris" a disparu, on passe à la phase de parabolisation : On effectue des courses en forme de W avec une amplitude assez importante. Ces courses déformées ont pour effet de rabattre très légèrement le bord de la sphère et de creuser son centre. On atteint ainsi un forme parabolique.
Viennent alors les retouches : On mesure la forme du miroir et on en déduit des courses variées permettant de retoucher les défauts de forme et de les corriger progressivement.
ce n'est pas une science exacte, trop de paramètres rentrent en compte pour pouvoir maîtriser avec certitude l'effet des retouche. C'est donc un processus essai-erreur qui peut durer longtemps...
A la fin, on arrive à la précision souhaitée... Il ne reste plus qu'a aluminer le miroir et à l'arroser (il est de notoriété publique qu'un miroir pas arrosé ne fourni que des images médiocres)
Pour la mesure :
durant l'ébauche on utilise un sphéromètre, c'est un micromètre monté sur un support à 3 points qui mesure la flèche de la surface. Un petit calcul permet d'en déduire le rayon de courbure, et donc la focale du miroir.
durant le polissage, on utilise surtout l'appareil de Foucault : l'image d'une fente lumineuse placée au centre de courbure du miroir est interceptée par une lame située à la même distance que la fente. En observant la manière dont les ombres se forment, on peut déterminer très précisément la position du point focal du miroir. On mesure alors le point focal de plusieurs zones concentriques sur toute la surface du disque, et un calcul permet d'en déduire la forme précise du miroir.
La méthode de Foucault est extraordinairement simple, pour des résultats extraordinairement précis... Une petite lampe, un micromètre et trois bouts de ferraille permettent de mesurer des erreurs de quelques centièmes de micron!
Pour le contrôle des miroirs plans (je ne vais pas entrer ici dans la méthode, je n'ai pas l'intention d'écrire un nième livre sur le sujet), on utilise souvent interféromètre de fizeau. C'est un petit montage assez simple qui peut se bricoler avec trois fois rien qui permet lui aussi de mesurer la forme d'un miroir à quelques dizaines de nanomètre près.
Quant à l'interféromètre de Bath, s'il est réalisable par un amateur, il est beaucoup plus encombrant, plus complexe, plus coûteux et beaucoup plus délicat à utiliser... Je connais une seule personne qui en a réalisé un. Le résultat était très intéressante, mais à titre de curiosité. Il nécessite un banc de mesure extrêmement stable, et la moindre vibration du plancher rend les mesures illisible. Au final, ce n'était pas utilisable pour la pratique...
Voilà. Il y a aussi les méthodes moins artisanales, qui vont de la simple machine à polir de fabrication amateur qui reprend grosso modo les mêmes concepts que le polissage manuel, à la grosse machine de production en série qui sort complètement de mon champs de compétence.
Pour ceux qui souhaiteraient approfondir le sujet, il y a le livre de Jean Texereau qui est la "bible" du polisseur de miroir et qui est disponible gratuitement en pdf :
http://www.astrosurf.com/texereau/
Si certains sont vraiment intéressés, je peux faire une petite visite de notre atelier de polissage à la Sorbonne. J'y suis en général le mardi soir, et à condition de ne pas avoir une file de 30 personnes à faire entrer, c'est tout à fait jouable.